Au delà du plaisir que procure la photographie - qui consiste généralement à cultiver une écriture personnelle et inédite - ce moyen d'expression dévoile quelquefois un prétexte, qui est celui de pouvoir accéder aux coulisses de lieux confidentiels, découvrir de nouveaux sujets ou univers inconnus. Cependant, la photographie reste en premier lieu une histoire de rencontres humaines et lorsque les échanges débouchent sur l'idée d'une réalisation partagée autour d'un projet, le résultat final peut alors prendre une dimension vraiment intéressante.

 Bien entendu - et face à cette perspective - il ne serait en aucun cas approprié d'ajouter une simple représentation graphique ou d'un tout autre élément descriptif à un texte (ou vice-versa). En revanche, pour chaque intervenant, faire naître une interprétation personnelle de l'idée, participe à enrichir le thème commun d'un réel intérêt.

Rencontre avec... Erick GAUSSENS

Pendant plus de 40 ans d'activités professionnelles, l'essentiel de mon énergie a été tournée vers de passionnantes activités de chercheur et d'entrepreneur. Malheureusement, mon autre univers, celui-ci plus créatif a été mis en arrière plan, sans pourtant disparaître.

Pourtant, dès ma jeunesse, j'ai pu réaliser un disque de « protest songs » (à ma décharge, c'était le début des années 70...). En marge de ma carrière professionnelle et lorsque l'occasion m'en était donnée, j'ai également chanté, joué dans des pubs et cafés en me frottant à de nombreux styles de musiques. Je n'oublie pas d'autre part, la réalisation de ce recueil de poèmes, malheureusement jamais publié.

J'ai toujours écrit avec persévérance, en essayant de transcrire des images, des impressions et des sentiments au gré d'expositions, de lectures, de la découverte de lieux ou de rencontres souvent amicales et submergées par des vagues de tendresse ou de mélancolie.Essayer d'exprimer tout cela, c'est le filigrane de ma vie, comme une souffle nécessaire mais léger, une brise incessante et vitale.

Je vous propose de partager avec vous cette brise, cet univers éclectique peuplé de musiques, de textes, et d'images... Découvrir les œuvres d'amis et d'artistes avec lesquels j'ai souvent eu la chance de collaborer ou acquérir les publications de mon embryonnaire métier d'Éditeur.

Avec Jean Jack, ce fut une rencontre inattendue, et très vite nos univers, d’images pour l’un d’écriture pour l’autre, sont rentrés en résonance, des textes me venaient spontanément devant ses si belles images. Nous avons alors de commencer un travail commun sur cette base et d’autres portes s‘ouvriront certainement.

 

© Erick Gaussens


Découvrez l'univers poétique d' Erick GAUSSENS ► Hillwater square

ATTENTE

 Dix oiseaux blancs

Sur la grève posés

Les regards rivés

Vers les nuages fuyants

Gris le ciel,

Un peu menaçant, pas de soleil

Au travers des nuages

On devine le vent

Et pourtant tout est calme

Petite houle, horizon droit

La mer entre les deux

Au vert un peu amer

Dix oiseaux blancs

Sur la grève immobiles

Les ailes en attente

D’un envol incertain

On sent dans l’air

Une énergie cachée.

De loin, un bruit sourd

Vient rouler sur la plage

L’orage va arriver;

 


ANODINE ACTIVITÉ

A mes heures perdues, je grimpe aux palmiers

Anodine activité que nul enjeu n’infléchit

Ni dattes, ni noix pour remplir un panier

Simplement, atteindre cette touffe perchée

Envoutant graphisme aux lents balancements

Que la brise accompagne sous un ciel azuré.

 

A mes heures perdues, donc,

je grimpe aux palmiers

Leur peau rugueuse m’écorche les pieds

Et parfois je m’écroule à cheval sur le tronc

Bras ballants, jambes tremblantes, bien fatigué

Alors le palmier, mon ami, gentiment se courbe

Pour que, sans glisser, je puisse reposer.

 

Car c’est ainsi, les palmiers sont pleins de sollicitudes

Pour l’humain affranchi qui aime les embrasser

Se bercer tranquillement, épousant leur solitude

Et puis voir de là-haut, troublante rectitude

Une flèche dressée, d’église peut être

Aux rigides pierres, imperturbables et grises

Pointant, accusatrice, ma nonchalante attitude

 

Étrange habitude

Il me faut bien l’avouer

Dédaignant la multitude,

Je grimpe aux palmiers.


ET TOUT À COUP, JE PERDS PIED

Nonchalant chaland au hasard de rues ensoleillées, un samedi d’été, je promenais.

Mon âme était tranquille, rien ne la troublait, les magasins futiles étalaient vêtements et objets.

Des gens déambulaient, par groupes ou solitaires, des jeunes gens riaient et parfois n’osaient pas se prendre par la main.

Et puis tout à coup, dans une lente transition, mon âme d’abord puis mes yeux se sont troublés.

Un instant avant, je nageais tranquillement dans cette mouvance paisible, et maintenant je me retrouvais à perd pied.

Ma vision du monde devenait floue comme enveloppée d’une couche liquide, ponctuée çà et là par fugaces brillances de notes de musiques.

Je me retrouvais dans un espace vide, avec peut-être vaguement un arbre, mon âme et mes yeux entamaient un vain dialogue comme si j’attendais quelque chose, ou quelqu’un, Godot peut être, de Samuel Beckett ?

« VLADIMIR/mes yeux. - Alors, on y va ?

ESTRAGON./mon âme - Allons-y.

Ils ne bougent pas. »

 


L'HORLOGE DU LIEU UNIQUE À NANTES

Le temps suintait par les failles du béton

L’ampoule solitaire insolemment brillait

Du plafond désolé d’une usine oubliée

Dont les murs fatigués laissaient glisser la clarté.

 

Et pourtant sur ce mur

Une horloge résistait

Assumant fièrement

Le pas régulier

Des minutes à venir.

 

Elle soufflait au passant

Qui passait sans la voir

Souviens-toi que le temps

C’est aussi l’espoir.

 

Quand tout n’est que ruine au fond de la mémoire

Quand on ne voit que sombres nuages et rêves décrépits

Quand de vieux murs sales emprisonnent le regard

Souviens-toi de l’horloge

Qui brillait dans le gris



Rencontre avec... Yvonne FAIVRE

La photographie représente pour moi une des possibilités artistiques de se dévoiler sans avoir à parler de soi. Photographier l’humain, la ville la nuit, ces thèmes spécifiques bien que classiques me fascinent par la part de mystère qu’elles suggèrent.

C’est pourquoi, lorsque Jean Jack MOULIN m’a demandé de lui écrire un court texte policier pour l’un de ses projets, mon imaginaire s’est emballé tant j’étais persuadée que celui-ci serait mis en images avec force, justesse et créativité, toutes qualités qui caractérisent l’œuvre de Jean Jack.

 

Découvrez ici l'univers photographique d' Yvonne FAIVRE

© Jean Jack Moulin


MIROIR DU PASSÉ

Texte : Yvonne Faivre

Avec la participation de Jacques Dolivet & Johanna Moulin

 

"Les mots résonnaient encore dans sa tête.

Effrayants.

Il en tremblait encore.

A peine arrivé chez lui ce jour-là, une voix au téléphone lui avait parlé longuement, sans attendre ni réponse, ni réaction.

Elle avait parlé et cela avait suffi.

Il fallait qu’il sache.

Comment avait-il fait, pendant toutes ces années, pour être aussi confiant ?

A la fois anxieux et exalté, il longea le quai de la gare désert et glacial à cette heure.

Rien, rien ne pourra m’arrêter désormais se dit-il, et ses yeux se mirent à briller.

Il marcha longtemps, hésitant parfois devant un carrefour. Puis il prenait une direction, à nouveau sûr de lui.

Au bout d’un moment qui lui sembla éternité, il se planta, mains crispées, devant une maison posée au fond d’un jardin, tapie au milieu d’arbres décharnés dont la mission semblait devoir repousser tout être civilisé.

Sinistre, pensa-t-il.

Il pénétra dans le jardin, balayant les environs d’un regard furtif. Les bruits de la rue se faisaient entendre, mais c’est à peine s’il les percevait. Sa détermination était telle qu’il dut s’arrêter pour redevenir lui-même, un homme qui arrivait au bout de sa route.

La maison était la réplique exacte du souvenir qu’il en avait. Rien n’avait changé. Ni la couleur des volets, ni le maquillage jaunâtre de sa façade.

Il resta de longues minutes à la contempler, conscient des battements du sang sur ses tempes.

Il s’avança. Puis s’arrêta. Qu’était-il venu chercher ? Le voulait-il vraiment ? Son indécision soudaine le prit de cours.

Il devait continuer, les paroles anonymes gravées dans sa mémoire ne lui en laissaient pas le choix.

Conscient d’entrer dans une phase non prévue de son existence, il s’approcha d’une fenêtre vivante. Son œil saisit la scène avec une acuité douloureuse.

Elle était là, telle que son imaginaire l’avait fait naître.

Comme si elle l’attendait.

Comme si elle avait su qu’aujourd’hui ne serait pas un jour comme un autre.

Comme si elle n’avait vécu que pour cet instant.

Les gestes de la femme étaient lents et mesurés.

Ses yeux grands ouverts ne semblaient rien percevoir de cette pièce déserte. Ils semblaient entièrement tournés vers un ailleurs invisible et dévorant.

Elle lui rappelait quelqu’un. La même démarche, la même façon qu’elle avait d’écarter cette mèche de cheveux espiègle qui s’obstinait à balayer son front, ce regard…

Était-il possible que…

Il se précipita (se dirigea) sans plus réfléchir vers la porte entrouverte et confia le reste de sa vie au destin.

Elle fut là, devant lui comme devant une évidence. Ses mains ne tremblaient pas, ses yeux ne cillaient pas, elle était statue.

Ce qui se devina, ce qui ne se dit pas, était aussi pesant qu’un monde en perdition.

Ils s’observèrent longtemps.

Elle murmura des mots qu’il ne voulait comprendre, qu’il ne voulait admettre. Ainsi cette voix… cette voix au téléphone ? Elle résonnait encore à ses oreilles…

Comment avait-elle deviné ? Comment savait-elle ? Il se souvenait, c’était un crime parfait…

Elle lui ressemblait tellement qu’un malaise l’envahit.

Sa fille.

Ce ne pouvait être que sa fille.

Alors lentement, dans sa poche, sa main lâcha la crosse du révolver."


Rencontres avec... Frédéric MAGNIN

Je ne suis pas photographe mais la photographie a accompagné toute ma vie et mon travail. Dans la vie, bien-sûr, pour aider à se rappeler les moments heureux. Dans le travail, un jeu permanent d’exercice du regard: de l’infiniment petit à l’infiniment grand, les gens, les bas-côtés, l’insolite, les ombres et reflets du vivant jusqu’à l’anodin et l’absence... J’ai souvent intégré la photo dans le travail préparatoire à la peinture, pour la composition, les couleurs...

Quand j’ai rencontré Jean Jack Moulin, je me suis tout de suite senti « en résonance » avec son travail et sa façon de l’aborder : rigueur, plaisir et curiosité.

Découvrez ici toutes les Chroniques Photophoniques de Frédéric MAGNIN


Après l'écoute de la chronique,

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